« La vie consacrée en droit canonique et en droit public français »
J’ai la joie de vous présenter ici ma thèse, publiée aux éditions Artège – Le Thielleux, en ce début d’année 2017. Certes, une étude dont l’objet est la vie consacrée en droit canonique latin et en droit public français, ainsi que les critères de reconnaissance dans les associations de fidèles, n’intéressera pas le plus grand nombre … sans doute. Et pourtant. Les sujets abordés reflètent une actualité étonnante, par exemple en droit canonique qui traduit particulièrement la vie, la spiritualité, le don de soi, la théologie de la vocation si particulière qu’est l’appel au célibat et à la vie consacrée.
Dans un contexte ecclésial et théologique marqué parfois par un désintérêt grandissant à l’égard du droit canonique – pour ne pas dire une certaine méfiance – ce domaine de recherche m’a paru déjà à l’époque emblématique du droit canonique qui n’est jamais déconnecté des réalités pastorales et théologiques. Si j’ai voulu au départ traiter de la vie consacrée dans les communautés dites nouvelles, je me suis vite rendu compte que le sujet était trop large, posé ainsi. Il fallait revenir aux fondements de l’état de vie consacrée. De plus, je n’avais pas vraiment mesuré qu’un tel sujet que l’on pourrait, a priori, considéré comme déconnecté des questions politiques allaient me conduire sur les chemins du droit public, en des lieux juridiques, là aussi, très actuels.
Trois enjeux
La publication d’un tel sujet a, selon moi, trois enjeux. Tout d’abord, nous pouvons constater qu’aujourd’hui, une certaine pauvreté de la formation théologique et canonique peut conduire à un appauvrissement des réalités vécues, sans compter un certain « fondamentalisme » et une individualisation des droits de l’homme qui induisent une mentalité égalitariste, y compris dans l’Église. Il suffit d’évoquer le terme de « consécration » devenu tellement englobant et générique, floué par certaines théologies, qu’in fine, on ne sait plus vraiment qui est consacré. Si certains pensent aujourd’hui que tout discours sur la vie consacrée et sur les vœux a été, depuis longtemps, confisqué par la place centrale du juridique, n’est-ce pas aussi du fait qu’une certaine praxis semble réduire toute réflexion sur la vie consacrée aux seules structures qui la porte, favorisant ce que l’on appelle la judiciarisation de la vie consacrée ?
Le deuxième enjeu nous a permis de revenir au cœur même des relations entre l’Église Catholique et l’État français. Alors qu’une certaine interprétation de la loi de 1905 veut régulièrement renvoyer la religion, l’Église ainsi que les autres cultes, à une sphère strictement privée, la présence des consacrées au cœur du monde ne peut qu’interpeler ces interprétations idéologiques. Deux intuitions, grandes et justes, de la loi de 1905, tels que nous avons voulu le montrer dans cette étude, subsistent : le premier fondement du principe de liberté religieuse demeure strictement cultuel. Or, si nous montrons combien la consécration dans le célibat est bien un acte cultuel, il est de plus en plus paradoxal ou contradictoire de constater que l’État et certains juges veuillent définir, voire requalifier l’acte du culte qu’est une consécration.
C’est bien l’un des paradoxes de la laïcité dans sa compréhension actuelle : d’un côté, on voudrait méconnaitre les religions, leur organisation, et ne faire de la foi qu’un acte privé et individuel, allant jusqu’à refuser parfois le droit canonique et son application ; et de l’autre, des juges qui, au for administratif, vont justement puiser dans les canons du Code de Droit canonique lorsqu’il s’agit d’essayer de comprendre qui est consacré et qui ne l’est pas, ou de préciser les obligations d’une communauté donnée. Il m’est donné, dans cette étude, d’interroger cela : le législateur du début du XXe siècle qui ne connaissait, pour faire simple, que l’Église Catholique, a imité ses concepts canoniques : c’est pour cela que j’y évoque, peut-être insolemment, « l’archaïsme du droit français sur les questions congréganistes ».
Quelques brefs constats sociologiques et politiques montrent l’actualité de ces questions ; dans un espace sociopolitique structuré depuis plus d’un siècle maintenant par la séparation de l’Église et de l’État, et dans un contexte géopolitique international marqué par des flux migratoires toujours plus grands, la France est confrontée à des cultures et des courants de pensée provenant de pays où, à l’inverse, la religion est une structure sociale fondamentale, et non pas précisément une opinion individuelle ou personnelle. Ces questions que je soulève, si elles semblent précises et particulières, mènent au fond à une étude plus large encore sur la laïcité : quelle place donner au fait religieux dans une société ? Faut-il un contrôle si strict de la part d’une administration qui semble toujours plus éloignée du fait religieux ? C’est bien la question du droit de liberté religieuse, dans une forme individuelle, mais aussi institutionnelle.
Le troisième enjeu est plus bref. Cette étude me permet de montrer, s’il fallait encore s’en convaincre, que, derrière toute structure quelle qu’elle soit, il y a toujours des personnes. Or, plus une structure est floue et imprécise, plus elle créera des souffrances. Cette question de la consécration, loin d’être uniquement des questions de terminologies, révèle des lieux de pauvreté où le droit et la justice ne peuvent être que le signe précurseur d’une vérité et d’une miséricorde achevées. Mentionnons ici, par exemple, des questions douloureuses, annexes et alléguées, comme les dérives sectaires, au sein de mouvements religieux catholiques ou non. Ou encore, lorsque des membres étrangers d’une communauté religieuse viennent à quitter leur institut en France et portent plainte ensuite pour « esclavage » et « travail non rémunéré », l’effet médiatique sera immédiat ; nous le voyons souvent, malheureusement. Si l’autorité religieuse ne prend pas la peine de définir les statuts, précisément afin de protéger la communauté ecclésiale, l’autorité concernée, les fidèles et les membres eux-mêmes, souvent dans une soi-disant subsidiarité mal comprise, c’est le scandale qui finit par triompher. Et l’on sait ce que Jésus dit du scandale …
Certes, il y a dans cette publication un langage ecclésiastique propre, et c’est l’une des difficultés de ce travail ; mais ce langage ecclésiastique doit entrer en dialogue pour ne pas tomber dans un « auto centrisme » canonique, de la même manière que le législateur civil doit comprendre qu’il ne peut avoir la totale maîtrise de concepts religieux qui lui échappent nécessairement.
C’est bien ce que signifiait déjà Robert SCHUMAN, que je cite, lorsque devant le MRP, il évoquait les notions d’indépendance et d’impartialité de « l’État (qui) a le devoir, alors que la Nation est composée de personnes qui n’ont pas les mêmes croyances, de permettre à chacun des citoyens de vivre conformément aux exigences de sa conscience. Il en résulte que la doctrine de neutralité – ou, pour mieux dire, l’impartialité de l’État à l’égard des croyances de tous les membres de la communauté nationale – ne saurait se concevoir comme une contrainte restrictive » (Robert SCHUMAN, débats parlementaires, JO du 4 septembre 1946).
Le lecteur le remarquera et peut-être l’éprouvera : il y a comme une tension constante entre le droit canonique et le droit français qui semble ne plus se retrouver en ces domaines de recherches, en leurs présupposés et leurs critères qui leur sont de plus en plus propres : c’est toute la difficulté de l’équilibre des deux droits dans une telle étude.
Dans l’idéal, il faudrait que la reprise de ces critères fondamentaux de la vie consacrée, considérés comme les clefs herméneutiques des normes générales des instituts de vie consacrée soient effectivement et concrètement reprises par la praxis ecclésiale, et pourquoi pas civile. L’enjeu de cette publication ne porte donc pas tant sur les associations de fidèles ou les communautés dites « nouvelles » que sur les critères inhérents à l’état de vie consacrée. Pour ne citer que les plus importants, évoquons la profession des conseils évangéliques à travers des liens sacrés ou des vœux ; la stabilité de l’état de vie ; la vie fraternelle ; les supérieurs à qui l’on remet son existence, au moyen de statuts et d’une règle de vie approuvés par l’autorité ecclésiastique.
Certains auteurs l’expriment d’une autre manière :
« confrontée aux interrogations et aux ambivalences provenant de multiples parties du monde, la Congrégation pour les Instituts de vie consacrée et les Sociétés de vie apostolique (CIVCSVA) a jugé nécessaire, en 1990, de présenter une série de critères pour l’approbation des nouvelles formes de vie consacrée10. En résumé, suivant ces critères, il est permis de parler d’une nouvelle forme de vie consacrée : (1) lorsque celle-ci comprend les éléments essentiels de la vie consacrée décrits aux canons 573 à 605 du Code ; (2) lorsque cette forme n’entre pas dans l’une ou l’autre des formes canoniques de vie consacrée (les instituts religieux, les instituts séculiers, les sociétés de vie apostolique dont les membres peuvent assumer les conseils évangéliques, les ermites et les vierges consacrées) ; (3) lorsque ces instituts nouveaux comprennent divers types de personnes : clercs, laïcs (hommes et femmes). L’exhortation apostolique Vita consecrata, six ans plus tard, reprend en substance les mêmes critères : « Pour que l’on puisse parler de vie consacrée, le principe fondamental est que les traits spécifiques des nouvelles communautés et formes de vie apparaissent fondés sur les éléments théologiques et canoniques essentiels, qui sont le propre de la vie consacrée (Jean-Paul II, exhortation apostolique post-synodale Vita Consecrata, du 25 mars 1996, n° 62c) ». » (van LIER R., « Communautés nouvelles et nouvelles formes de vie consacrée : bilan et prospectives », in Vies Consacrées, n° 84 (2012), pp. 106-107).
Nous avons voulu répondre à cette question : si le droit canonique pose des critères fondamentaux, évoqués ci-dessus (cf. le canon 573 du Code latin par exemple), pourquoi tant de fidèles ou de communautés s’emploient, au contraire, à utiliser d’autres critères et définir d’autres approches de la consécration ? Pour le dire plus simplement encore, à force de vouloir tant faire différemment des instituts de vie consacrée, on finit par faire différemment de la vie consacrée elle-même.
J’ai donc voulu revenir à ces fondements, dans l’un et l’autre droit, afin de les reprendre comme critères de discernement pour des communautés nouvelles. Celui qui voudra bien ouvrir ces pages trouvera d’une part toute une approche de cette terminologie de la consécration, et sa définition comme acte juridique publique ; et d’autre part, une compréhension des critères plus organiques, plus organisationnels pourrait-on dire, de la vie consacrée dans l’Église. En effet, il ne suffit pas de vivre concrètement et réellement les conseils évangéliques pour que cela constitue une forme de vie reconnue comme état de vie consacrée. Dans nos sociétés modernes, où l’empirisme personnel devient de plus en plus la norme morale, voire juridique, et dans l’Église, où la nouveauté fait parfois rêver, je conçois que cette étude pourra apparaître quelque peu « décalée ».
Père Cédric Burgun
Pour retrouver l’ouvrage et le commander, par exemple :
Marc Favreau
3 mars 2017 -
Bravo pour l’effort de rendre accessible un pan de l’église, le droit canon, indispensable mais pourtant tellement inconnu.