Subsidiarité européenne, avez-vous dit ?
20 mai, 2014   //   Par :   //   schuman, europe, societe / culture   //   2 commentaires   //   6162 Vues

Texte publié sur le blog du journal La Croix : http://europe.blogs.la-croix.com,
ouvert à l’occasion des élections européennes.

Les élections européennes vont avoir lieu, avec leur lot d’abstention et de vote-sanction. La grande majorité des candidats y auront été de leur petite musique : eurosceptique, euroconvaincu, européiste, eurobéat (je l’ai entendu hier soir !), « euro-etc. » ! Cette campagne aura été lamentable (et non seulement par la pub, cf. ce billet très clair : le top 4 des pubs les plus nulles) : vide de sens, vide de projets, vide de convictions, à l’image de ces grands partis politiques qui ne savent plus quoi inventer pour intéresser cet homoindividualicus qui se complaît souvent, semble-t-il, dans le désintéressement du bien commun. En tous cas, une question oubliée par bon nombre est la question de l’autorité en Europe. Et nous gommons cette question parce qu’au fond elle nous gêne.

C’est tout le « risque » de cette paix aujourd’hui acquise en Europe occidentale. Robert Schuman avait posé les fondements d’une paix véritable, mais cette paix peut contenir le risque d’être vécue comme un individualisme. Il y a deux manières de concevoir la paix : soit comme une absence de guerre, soit comme une mise en commun et une vie fraternelle. Certes, les peuples en ont assez de se battre, en ont assez de souffrir de conflits interminables et irrationnels. Mais où cette paix nous a-t-elle menés ? Nos sociétés, au moins occidentales, ne se sont-elles pas enfermées dans un individualisme croissant et confortable ? La question mérite d’être posée : la paix, pourquoi faire ? N’avons-nous pas voulu la paix pour être tranquilles chez soi sans être dérangés par son voisin ? N’avons-nous pas choisi la paix pour développer ce fameux esprit de tolérance, mais dont je pense que c’est une valeur creuse et vide de sens ? Ou au contraire, voulons-nous la paix dans un esprit de partage et de solidarité, d’ouverture et de connaissance de l’autre, d’accueil de l’autre ? Pourquoi voulons-nous la paix ? Et là, nous pouvons retrouver la question du sens de l’Europe, au travers de la méthode Schuman, et de l’autorité que l’on veut pour l’Europe.

Le principe de subsidiarité est une valeur sur laquelle tous les chrétiens (au moins eux sont d’accord !), surtout quand on parle de famille ou de respect de droits individuels. Mais l’application concrète de ce principe est une autre histoire. Oui, le principe de subsidiarité implique que l’on laisse la liberté d’action et de moyen à l’échelon inférieur ; encore faut-il que cet échelon inférieur dispose des moyens suffisants pour mettre son action en œuvre. Le principe de subsidiarité doit aller dans les deux sens et implique aussi qu’en démocratie, l’individu renvoie à l’échelon supérieur son pouvoir décisionnel tant il ne peut pas tout gérer seul à moins de vivre en autarcie : par exemple, les conseillers municipaux se voient comme « déléguer » le pouvoir de gestion de la commune par la population qui les a élus démocratiquement. Et c’est vrai à d’autres échelons. Il ne faudrait pas voir trop le principe de subsidiarité dans un sens unique : celui nous arrange. Qu’acceptons-nous de déléguer à l’échelle européenne ? Que voulons-nous déléguer ? Sans aller jusqu’à la question du fédéralisme (qui nécessiterait bien plus de réflexions, évidemment), voilà tout de même l’enjeu de la question, pour que la paix et la solidarité demeurent efficaces et réelles.

Le principe de subsidiarité est clairement aux fondements de la construction européenne. Il est énoncé clairement dans le Traité de Lisbonne, tel que le déclare le Préambule : « Résolus à poursuivre le processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe, dans laquelle les décisions sont prises le plus près possible des citoyens, conformément au principe de subsidiarité ». 

Et tel que le précise encore l’article 3ter :

« 1. Le principe d’attribution régit la délimitation des compétences de l’Union. Les principes de subsidiarité et de proportionnalité régissent l’exercice de ces compétences. 
2. En vertu du principe d’attribution, l’Union n’agit que dans les limites des compétences que les Etats membres lui ont attribuées dans les traités pour atteindre les objectifs que ces traités établissent. Toute compétence non attribuée à l’Union dans les traités appartient aux Etats membres. 
3. En vertu du principe de subsidiarité, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, l’Union intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les Etats membres, tant au niveau central qu’au niveau régional et local, mais peuvent l’être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, au niveau de l’Union. 
Les institutions de l’Union appliquent le principe de subsidiarité conformément au protocole sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité. Les parlements nationaux veillent au respect du principe de subsidiarité conformément à la procédure prévue dans ce protocole. 
4. En vertu du principe de proportionnalité, le contenu et la forme de l’action de l’Union n’excèdent pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs des traités. 
Les institutions de l’Union appliquent le principe de proportionnalité conformément au 
protocole sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité. »

Mais son application demeure complexe, tout comme la volonté de le vivre et d’en décrire un projet clair. Le non total à Bruxelles n’est pas réaliste ; il est idiot : le principe de subsidiarité comprend la responsabilité de chacun, mais aussi le partage des tâches en vue d’une œuvre commune plus efficace ! Les élections européennes passées avaient vu naître ce débat important sur la nature des institutions européennes, débat qui opposait souverainistes et fédéralistes. Il est dommage que ce débat ait été abandonné aux seuls extrêmes, car le projet européen a besoin d’une vision et d’une stratégie claire, ainsi que l’avait dit R. Schuman :

« L’Europe ne se fera pas d’un coup ni dans une construction d’ensemble. Elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord des solidarités de fait. » Et encore : « Il n’y a pour nous d’autre chance de salut que le retour aux principes de solidarité entre les individus et entre les Nations, à la pratique de la fraternité qui doit nous unir dans la coopération et dans le sacrifice. »

L’approche ingénieuse du plan Monnet-Schuman avait voulu créer des « solidarités de fait » par des « réalisations concrètes ». Nous y sommes : définitions de politiques communes, constitution d’un marché intérieur, libre circulation des personnes et des biens. Espace de liberté, de sécurité et de justice, même si je sais bien que tout n’est pas encore satisfaisant, loin de là. Aujourd’hui, cette même démarche de « fusion des intérêts » (l’expression est Schuman lui-même) doit permettre de relever de nouveaux défis, dans une mondialisation accrue, rapide, et inéluctable. L’un des premiers défis, illustré par la crise financière sans précédent que nous connaissons, est la construction d’une politique économique et le développement d’un gouvernement économique européen : l’Europe est un géant économique, mais un nain politique !

De manière très réaliste, pouvons-nous encore avancer sans autorité européenne stable, claire et forte ? Oui, le sujet fait débat, mais je ne crois plus aux grandes théories européennes qui, loin d’être concrètes, mais plutôt vides de sens, nous empêchent de voir clairement les enjeux qui nous attendent.

L’Union Européenne ne peut plus passer d’une présidence à l’autre sans coordination ou réelle conviction ; pour la première fois cette année, le Président de la Commissin sera approuvé par le Parlement européen (comme l’a rappelé dans son billet Thierry Chopin). Quel français connaît le nom des candidats ? Quelle chaine de télévision française a accepté de retransmettre les débats entre les candidats ?

Schuman, en son temps, n’avait pas décidé une sorte de conseil où l’on voterait de manière unanime des projets ; mais il a créé une autorité supranationale pour décider et imposer le partage et la paix autour des questions énergétiques de son temps. La solidarité signifie le partage. Or, il n’y a pas de partage et de solidarité sans une perte personnelle minimum. Et pour les Etats membres, je crois que cette solidarité passera, incontestablement, par une perte d’autorité personnelle, de liberté personnelle, en vue d’un bien meilleur, d’un bien commun. Cette autorité supra-nationale, quelle qu’elle soit, ne serait-elle pas plus démocratique et respectueuse de la démocratie et des populations que ces G8 ou G20 qui décident, sans contrôle, de ce qu’il estime être de son ressort ? Voulons-nous en discerner tous les enjeux ? en serons-nous capables ? Là sont les vraies questions.

Père Cédric Burgun

2 commentaires pour “Subsidiarité européenne, avez-vous dit ?”
  • Choshow
    22 mai 2014 -

    J’avais peur en lisant les textes précédents d’un certain idéalisme de votre part, et en fait, vous touchez jusqu’aux fond de nombreux points essentiels, avec des analyses pertinentes, des citations très intéressantes et beaucoup de neuf dans les débats.
    Donc je tiens simultanément à m’excuser pour mes précédents commentaires, et en même temps à vraiment vous remercier pour avoir pris le temps de rédiger cette série d’articles (va-t-elle continuer après les européennes? Je ne sais pas, peut-être que non) et pour tous les éléments de réflexion que vous avez pu apporter.

    • Père Cédric
      22 mai 2014 -

      Merci beaucoup pour votre commentaire ! L’Europe m’a toujours intéressé et je publierai donc régulièrement je pense des choses ici ou ailleurs, puisque des « petites choses » se préparent … merci en tous cas !