« Quel dirigeant ose encore interpeller l’Europe comme le fait le pape ? »
La Vie : Pourquoi donner le prix Charlemagne au pape François ?
J’y vois deux sens : le premier, c’est remercier le pape François de son engagement politique au sens noble du terme. Quel « dirigeant » aujourd’hui ose encore interpeller l’Europe sur ces sujets fondamentaux comme le fait le pape ? Il le fait avec la vigueur et le souffle personnel qu’on lui connaît ! Le deuxième sens est la reconnaissance de toute l’implication du Saint-Siège, au delà de la personne du pape, dans les processus de paix en différents pays du monde comme dans l’attention aux plus pauvres et aux plus faibles. Le pape a accepté de recevoir ce prix – le seul qu’il ait accepté jusqu’à présent – aussi parce que ce prix le dépasse. C’est le Pape, en sa mission universelle qui est reconnu comme tel. Ce qui souligne l’importance de la diplomatie pontificale et combien les États seraient assez naïfs de vouloir s’en priver.
La Vie : Depuis quand l’Europe va-t-elle demander l’aval d’un pape ?
L’Europe a, depuis le départ, été attentive aux encouragements de l’Église, car ses pères fondateurs l’étaient à titre personnel. Rappelons que c’est au fond de la prison de la Gestapo allemande que Robert Schuman a eu cette intuition fondamentale : le message d’amour apporté par le Christ ne s’applique pas seulement aux individus, mais aussi aux communautés humaines entre elles. Il avait même parlé de ce projet avec le pape, le nonce apostolique, ou des évêques, car il voulait agir et se conduire en vrai fils de l’Église. Dans ce contexte de paix et de réconciliation, l’Église n’a cessé d’encourager la construction européenne. Benoit XVI, par exemple, a consacré, comme cardinal, plusieurs livres à l’Europe. Il y montrait une profonde conviction européenne, afin de renoncer définitivement, disait-il, « à l’hérésie nationaliste ».
La Vie : L’Union européenne (UE) et l’Église ne sont pourtant pas franchement proches sur certains sujets fondamentaux (la famille, l’économie…)…
Le contexte était-il plus favorable à Schuman qu’il ne l’est aujourd’hui ? Est-ce l’Europe qui doit imposer la morale chrétienne ? Est-ce à l’Etat, dans un principe de subsidiarité ? Ou est-ce d’abord à chacun de se convertir ? Je ne crois pas, et je n’ai pas jamais cru, à une conversion par le haut. Tout mouvement de conversion passe d’abord par nous-mêmes. C’est un peu facile d’accuser l’Europe de tous nos maux moraux sans s’interroger nous- mêmes. Certes, elle ne nous facilite pas la tâche sur un certains nombres de sujets… Mais elle est le parfait reflet de ce qui passe dans nos États : l’abandon ou la démission de nos politiques sur un certain nombre de sujets fondamentaux, comme les sujets familiaux. Là est le premier problème. Par ailleurs, malgré un tableau un peu sombre au premier abord, quelques signes d’espérance ont germé en Europe comme l’abolition de la barrière de 5% aux élections européennes qui réduit le pouvoir des partis politiques établis au profit des initiatives citoyennes ; et d’autres exemples encore comme les constitutions hongroise ou lituanienne qui inscrivent la définition de la famille. On peut aussi évoquer les exemples de mobilisations citoyennes réussies comme One of Us. Autant de petites pierres qui montrent que rien n’est jamais perdu. De plus, il faut souligner le courage des papes successifs qui ont inlassablement interpelé l’Europe : que fait-elle de l’homme ? Est-elle au service de l’humanité ? Le rôle de l’Église et des chrétiens est d’abord un rôle de témoignage et de cohérence.
La Vie : Est-ce que l’attribution de ce prix au pape redonne une place aux racines chrétiennes de l’Europe ?
Cela n’était pas au cœur du débat mais le pape François l’a suffisamment rappelé dans son discours. De toute manière, les racines judéo-chrétiennes de l’Europe ne sont pas une question, mais un fait, une réalité historique et scientifique, qu’on le veuille ou non. Mais il est vrai qu’aujourd’hui, l’homme s’habitue de plus en plus à nier les évidences même de la réalité de sa nature ou de son histoire. Là aussi, ajoutons que les chrétiens sont convoqués à la cohérence : pourquoi, au fond, voulons-nous cette reconnaissance ? Même si l’Europe avait reconnu ses racines dans un préambule constitutionnel, quels effets à une telle reconnaissance ? Il ne s’agit pas de mettre ces racines dans un musée comme un passé glorieux que l’on viendrait voir. Ce passé doit infuser notre action : là est le véritable enjeu de cette question.
La Vie : Que pensez-vous de l’idée d’une récupération politique de l’image du pape par les dirigeants européens ?
La volonté de récupération politique du pape ou des chrétiens existe depuis que le Christ s’est fait convoquer par Hérode qui mourait d’envie de le rencontrer, sans pour autant l’écouter véritablement. Il y a cette tentation en Europe comme en chacun de nos pays, ou encore des partis politiques qui veulent, chacun, avoir leur « caution » catholique. Nous ne sommes jamais vraiment dupes de ces manœuvres politiques. Mais si l’on observe bien, je pense que le pape François est bien le dernier à se laisser récupérer tant sa parole est incisive et exigeante !
Merci au Journal La Vie de m’avoir donné l’occasion
de m’exprimer sur ce sujet qui me tient à coeur !