A propos de la réforme de la Curie et du « G8 » papal …
Nous aimons bien prendre nos désirs pour des réalités … nous encensons chaque jour, ou presque les petites phrases du pape François – à juste titre, d’ailleurs – et à la première occasion venue nous nous en éloignons ! Je m’explique : il a maintes fois parlé dans ses homélies ou ses discours qu’il ne fallait pas attendre la réforme des structures comme « LA » chose qui allait bouleverser l’Église, mais plutôt espérer, désirer et réaliser d’abord notre conversion personnelle. Là serait la « conversion » ou plutôt l’accroissement de sainteté dans l’Église.
Or, depuis hier, les médias s’affolent ! Le pape François a érigé un conseil « permanent » de Cardinaux. L’Église serait enfin en train de se réformer … N’oublions pas, chers amis, que le Pape récemment choisi par les cardinaux a pris le nom de François. Saint François fut ce saint qui comprit très tôt que l’Église de son temps était engluée dans des questions matérielles. Qu’a-t-il fait ? A-t-il espéré que l’Église change d’abord ses structures ? Non, il commença par vivre soi-même la pauvreté évangélique. Et c’est son témoignage qui bouleversa la vie de l’Église.
Nous sommes un peu dans le même temps. Nous voyons bien la nécessité de changements ; mais nous mettons tous nos espoirs dans là-dedans. Mais est-ce si juste ? D’aucuns s’imaginaient hier, au sujet de ce conseil des cardinaux, que le pape renforçait le pouvoir du « G8 » des cardinaux, créé quelque temps auparavant, en le pérennisant comme un conseil de gouvernement, au-delà de sa mission initiale de la réforme de la Curie. Mais j’appelle à une certaine prudence canonique pour ne pas trop anticiper les choses, car, en fait, je suis persuadé que c’est une erreur de le penser. Nul n’est question de « conseil de gouvernement » ; nul n’est question de « court-circuitage » de la Secrétairerie d’État ; et nulle innovation dans cette création ! Le 13 avril dernier, lorsque le Pape François a créé un groupe de cardinaux, qu’a-t-il fait ? Il serait bon de revenir au communiqué de la Secrétairerie d’État, publié ce jour-là :
« Reprenant une suggestion émise durant les congrégations générales d’avant conclave, le Pape François a constitué un groupe de prélats chargé de le seconder dans le gouvernement de l’Église universelle et de travailler à un projet de révision de la constitution apostolique Pastor Bonus, relative à l’architecture et au fonctionnement de la Curie Romaine. La première réunion collégiale est fixée aux 1-3 octobre prochain. Ceci dit, le Saint-Père est d’ores et déjà en contact avec les prélats (…).»
Et que dit le chirographe du 28 septembre dernier ?
« (…) Après une mure réflexion, je considère opportun qu’un tel groupe soit institué par le présent Chirographe en Conseil de Cardinaux, ayant pour devoir de m’aider dans le gouvernement de l’Église universelle et d’étudier un projet de révision de la Constitution apostolique Pastor Bonus sur la Curie Romaine. Celui-ci sera composé des personnes précédemment indiquées, lesquelles pourront être sollicitées, soit en Conseil, soit individuellement, sur les questions que je retiendrai dignes d’attention. Le dit Conseil, dont je me réserve le droit de modifier le nombre des composants de la façon qui me semblera la plus adéquate, sera une expression supplémentaire de la communion épiscopale et de l’aide au munus petrinum que l’épiscopat dispersé de par le monde peut offrir. »
L’exégèse des deux textes nous montre des similitudes et UNE différence. Les similitudes sont nombreuses : tout d’abord le Pape confirme son geste du 13 avril ! Certains pensaient peut-être que la fougue des débuts allait lui faire abandonner toute envie réformatrice. Eh bien non ! La commission – ou « conseil » – est bel et bien instituée : qu’on se le dise, puisque ce fut une demande claire des cardinaux lors des congrégations générales précédant le conclave. Le chirographe pontifical confirme aussi (mais là aussi, rien de nouveau) que le but de ce conseil est d’aider le pape dans un projet de révision de la Constitution Pastor Bonus, constitution apostolique signée de Jean-Paul II, qui réglemente la Curie Romaine et son fonctionnement. Mais attention, contrairement à ce que l’on peut lire ici ou là, le chirographe daté du 28 septembre n’apportait pas la notion nouvelle d’aide au gouvernement : cette volonté papale était déjà exprimée depuis 13 avril. Rien de nouveau, donc, de ce côté-là, et l ne faudrait pas vouloir trop de signes là où s’exprime « simplement » le fonctionnement habituel des organismes pontificaux. Le document du 13 avril disait encore que le Pape n’attendait pas les réunions d’octobre pour être en contact avec les cardinaux de la Commission ; le dernier chirographe précise que le Pape peut consulter le conseil individuellement ou collégialement. Il n’y a pas grande différence …
Quelle différence alors me direz-vous ? Elle se situe dans l’institution même du conseil ! L’annonce du 13 avril était totalement « informelle » : ce fut annoncé par un simple communiqué de la Secrétairerie d’État ; ici, c’est un chirographe pontifical, c’est-à-dire un acte juridique pontifical écrit de la main du pape. Qu’est-ce qu’un chirographe ? Traditionnellement, c’est un texte très court écrit de la main du pape pour leur donner une valeur tout à fait personnelle : cela lui donne toute sa rareté et souligne son importance. Deux exemples entre autres : Paul VI avait écrit à Mgr Lefebvre en 1976 pour l’avertir d’une éventuelle crise institutionnelle alimentée par ses prises de position ; Jean-Paul II en avait signé un le 6 avril 1984 pour modifier le gouvernement de la Cité du Vatican.
Le pape François met donc ici une marque personnelle, montrant à la fois son autorité et sa détermination. Certes. Mais cela signifie-t-il que l’on doit y avoir plus que prévu ? Non. Le Pape a institué un conseil dans l’Église comme il en existe plein d’autres. Le pape Jean-Paul II ou Benoit XVI avaient les leurs … Lorsque Jean-Paul II engagea, lui aussi, réforme de la Curie qui devait conduire à la Constitution Apostolique Pastor Bonus qui organise la Curie, combien de conseils furent créés pour réfléchir, penser, et proposer la réforme ! Bien informels et bien discrets aussi, mais ils existaient tout autant. Le pape François agit là ; est-ce avec plus de transparence ? Certains le penseront. Soit.
Mais le Pape ré-insiste aussi sur le caractère pontifical de sa charge. Paradoxalement, puisque tout le monde se plaît à dire qu’il veut plus de collégialité. Alors que la Curie est un véritable instrument de collégialité, comme le prévoit le Droit Canonique, n’est-ce pas là un signe de recentrement du pouvoir autour de la figure pontificale – ce qui ne serait pas forcément pour me déplaire ? Je ne suis pas sûr que les véritables changements sont là où tout le monde les espère et nous risquons bien d’être encore un peu surpris … Le pape montre bel et bien ici son autorité.
C’est pourquoi je m’étonne des conclusions de certains commentateurs. Ils mentionnent, comme originalité du chirographe, une véritable autorité du Conseil : c’est méconnaitre les structures de « conseil » dans l’Église qui ne font que renforcer l’autorité de celui qui les dirige. Dépendant de l’autorité ecclésiastique qui les érige, ces structures n’ont aucune « indépendance » (au sens moderne du terme) et travaillent de concert avec l’autorité. Leur existence et leur fonctionnement dépendent de sa bonne volonté. Ce n’est pas une critique de ma part, mais bien l’expression des structures actuelles de l’Église, ce avec quoi je suis parfaitement d’accord ! Ces conseils ont la double conséquence de mettre en œuvre une certaine collégialité, oui, tout en renforçant le pouvoir ecclésiastique. Nous demeurons – et c’est très bien – dans une théologie de la hiérarchie et de l’autorité, contrairement à ce que pensent certains groupes qui ne rêvent que d’une chose : faire éclater toutes les structures ecclésiastiques et réduire l’Église à une « vie associative démocratique ». Ce Conseil créé par le Pape François est en tout point dépendant de lui et ce serait se méprendre sur les structures ecclésiales de croire l’inverse.
On nous dit encore que ce conseil est créé pour exister à long terme. Mais est-ce dans le texte ? Aucune permanence n’est conférée par le chirographe (d’ailleurs, vous savez, les choses « permanentes » dans l’Église sont de l’ordre du droit divin …) Ce Conseil demeure totalement dépendant de la bonne volonté du Pape, sans permanence d’institution aucune. Le Pape consulte et le Pape décide, oui. Qu’il crée, là, un nouvel organe de consultation et non pas de gouvernement au sens strict : oui, un organe de consultation. Croire l’inverse ignorerait ce que l’on appelle le « pouvoir » vicaire de la Curie et de tous ces organismes qui gravitent autour du Pape et qui n’agissent que sous sa responsabilité ultime.
Enfin, il est parfois expliqué que la Secrétairerie d’État se trouve en quelque sorte dessaisie de ces questions, comme s’il était facile de voir en elle le bouc émissaire de tous les maux que l’Église connaît ces derniers temps. Mais qu’est-ce que la Secrétairerie d’État ? Elle n’est pas en charge de réformer la Curie : ce n’est pas dans ses prérogatives et ses compétences. Sa compétence générale est consacrée par l’article 39 de la Constitution apostolique Pastor bonus : elle « aide de près le Souverain Pontife dans l’exercice de sa mission suprême » ; et selon l’article 41, le pape lui confie le traitement des affaires relevant de son « service quotidien ». La première section dite des affaires générales (Pastor Bonus, art. 41-44) traite donc de ces affaires et exerce, entre autres, sa vigilance sur les organes de communication officiels du Saint-Siège. Elle est certes la plaque tournante de la Curie en assurant direction de la coordination générale des différents dicastères de la Curie ; mais elle ne dirige pas l’action curiale. Une deuxième Section de la Secrétairerie d’État est chargée des Relations avec les États : c’est tout la diplomatie pontificale spécialisée dans les affaires internationales.
Il serait de plus contradictoire de voir dans la nomination du nouveau Secrétaire d’État, Mgr Pietro Parolin, un signe de changement notable et d’expliquer ensuite que la Secrétairerie d’État qu’il est appelé à diriger s’en trouve court-circuitée, comme j’ai pu le lire ici ou là. Véritable Premier Ministre du Pape, nommé directement et discrétionnairement par lui, il sera au cœur du système pontifical et clef de voûte de la réforme aujourd’hui engagée.
Pour tout vous dire, je pense que nous ne sommes pas au bout de nos surprises. Bon nombre de commentateurs, qui nous expliquaient hier comment aller se dérouler le conclave et qui serait élu, sont ceux-là mêmes qui aujourd’hui nous expliquent avant l’heure les réformes voulues par le Pape François … Peut-on prévoir ce qui va se passer ? Non. Je pense vraiment que le Pape, qui réunit les cardinaux à huit clos – tout comme les Congrégations générales – veut penser, agir et mieux organiser. C’est une lapalissade que de dire que la Curie a besoin de réforme : depuis sa création au Moyen-âge, c’est le commentaire habituel ! On ne peut imaginer, honnêtement et de manière réaliste, que l’administration qui gère l’ensemble de l’Église Catholique de par le monde, avec en gros 2500 personnes à son service (c’est la taille de la Curie), fonctionne parfaitement. Oui, elle a besoin de réformes. Oui, les choses sont toujours perfectibles.
Mais dans ce temps de réflexions et de consultations que le Pape se donne et se laisse, nous pouvons déjà et surtout l’accompagner de nos prières. Cela sera sans doute plus efficace que bons nombres de cris de victoires au sujet de la réforme à venir et de desiderata que je lis ici ou là.
Père Cédric BURGUN
Guillaume de Prémare
2 octobre 2013 -
Merci pour cet éclairage très intéressant.
A propos de son G8, le pape dit dans La Repubblica : « C’est le début d’une Église conçue comme une organisation non seulement verticale, mais horizontale. » Or, comme vous le soulignez, ce conseil s’inscrit pour le moment comme un élément de la verticalité. Louis XIV aussi avait son conseil… Et pour le moment, le pape donne une direction assez personnelle à travers ses différentes interventions, avant même consultation, même s’il y a eu les congrégations générales du conclave. Comment l’horizontalité peut-elle s’intégrer concrètement dans le gouvernement de l’Eglise ? Comment situer cette horizontalité par rapport à ce qui est irréfragable dans la structure apostolique de l’Eglise ? Comment, nous qui sommes laïcs, pouvons-nous – ou non – nous inscrire dans cette dynamique horizontale et y apporter notre propre expérience de confrontation quotidienne avec la modernité – dans la vie sociale et professionnelle, à travers nos engagements dans la cité – et notre propre expérience d’éducation et de transmission de la foi, vécue dans nos familles ? Cela n’est-il pas trop complexe à imaginer au niveau de l’Eglise universelle ? Or, c’est bien du point de vue de l’Eglise universelle que se place le pape, dans sa mission de pasteur universel. En bref, comment faire pour que tout cela ne soit pas des mots, des formules, de grandes idées vite refroidies par la complexité du réel ?
Père Cédric
2 octobre 2013 -
Merci, Monsieur, pour votre commentaire. Vous pointez LA question des prochains mois. En effet, la question de la participation des laïcs au gouvernement de l’Eglise n’est pas seulement la question « que peuvent-ils faire ? ». La question est plus profonde et plus théologique qu’une simple question d’organisation ; et vous le dites bien, à votre manière.
Le bulletin d’information du Vatican le rappelait ce matin : « le Pape François a proposé une réflexion ecclésiologique à partir du Concile Vatican II, ce qui montre que les débats ne portent pas exclusivement sur la gestion et l’organisation institutionnelles, qui prennent place dans une perspective théologique et spirituelle. Une telle problématique ne saurait d’ailleurs pas être traité en quelques heures autour d’une tables. Les membres de ce conseil (des cardinaux) envisagent leur travail dans la perspective conciliaire pour traiter des relations entre Eglises locales et Eglise universelle, mais aussi de la communion et de la collégialité, du concept d’Eglise des pauvres, du rôle des laïcs, des thèmes qui ont été abordés par Vatican II. C’est à partir de là que se développe la réflexion sur les structures de gouvernement. »
La question est loin d’être simple et mérite du temps je pense, comme le dit le bulletin du Saint-Siège.
Guillaume de Prémare
3 octobre 2013 -
Merci, je comprends mieux maintenant l’ampleur et la nature de la tâche.
Comme laïc, je me dis que l’essentiel reste le quotidien ordinaire. Nous sommes bien loin des questions de gouvernement et c’est vrai qu’il est difficile d’imaginer comment nous pourrions être un peu associés, puisque d’une part la structure hiérarchique repose sur le clergé, ce que je ne conteste pas, et d’autre part nous sommes immergés dans un quotidien très absorbant. Peut-être que nous avons simplement des choses à dire, une expérience à partager. Le pape dit d’aller aux périphéries et de ne pas rester au chaud dans nos communautés, mais en fait nous y sommes déjà aux périphéries, dès que nous travaillons, que nous entretenons des amitiés, que nous envoyons nos enfants à l’école etc. Nous sommes dans la paroisse 1 heure par semaine, et pour le reste nous sommes au milieu du monde, d’une manière différente des prêtres , parce que nous exerçons une responsabilité au milieu de ce monde : professionnelle, sociale, éducative, parfois politique. Je crois qu’on ne peut mieux appréhender une chose qu’en exerçant la responsabilité de cette chose. Alors, puisque nous avons celle des choses ordinaires de ce monde, peut-être que ce n’est pas tant à la hiérarchie de nous envoyer vers ce lieu où nous sommes déjà, de nous apprendre ce qu’est cette réalité que nous connaissons déjà, mais que c’est peut-être plutôt à nous d’éclairer la hiérarchie sur la réalité des périphéries, sur les besoins profonds qui s’y vivent. Le rôle de la hiérarchie n’est pas tant de nous donner des leçons ce que nous devons faire, comme nous devons être, que de prendre soin de nos âmes. Quand les fidèles disent quels sont leurs besoins, ils se trompent rarement. Je pense que les prêtres diocésains sont suffisamment au contact pour comprendre ces besoins, mais je ne suis pas certain qu’en plus haut lieu il y ait une connaissance de ce que nous vivons au quotidien, de la difficulté de la vie de couple, de foi, de l’éducation, des pressions de la vie professionnelle etc. Parfois, on pense peut-être « Celui-ci est catholique pratiquant, il a un boulot, une famille qui tient, tout va bien pour lui ». Or, le plus souvent, c’est faux parce qu’il y a beaucoup de fragilités et de peurs cachées au fond des maisons et au creux des âmes. Il y a des parents qui s’angoissent pour leurs enfants et qui ne peuvent vivre ce fameux « détachement des âmes » que peut avoir le pasteur, il y a des hommes à l’allure robuste qui semblent partir assurés au travail avec leur mallette à la main, mais qui ont en réalité un boule au ventre parce qu’il vont vivre pendant 10 heures une pression énorme, parfois dans un contexte de violence relationnelle insupportable. Ils n’osent pas en parler à leur femme pour ne pas l’angoisser, mais parfois ils en parlent, entre copains. Il y a des mères de famille tout sourire qui s’interrogent sur la valeur de leur tâche et qui se dévalorisent parce qu’elles ne produisent pas etc. Et quand elles travaillent, ce n’est pas simple pour elle, il y a parfois un sentiment de culpabilité. Peut-être qu’il y a un travail de témoignages à recueillir pour comprendre les besoins des fidèles, ce que ne permettent pas les synodes.